Front de gauche des pays d'Auray et de Port-Louis

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Mécanisme de solidarité européen


Le MES n'est pas un mécanisme de solidarité européen

Point de vue | LEMONDE.FR | 01.03.12 | 09h20

par Claude Debons, Jacques Généreux, Janette Habel, Jean-Marie Harribey, Pierre Khalfa, Marie-Christine Vergiat et Francis Wurtz.

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Dans un point de vue publié dans Le Monde du 25 février ("Mécanisme européen de stabilité : la bourde historique de la gauche"), des députés européens écologistes et des économistes proches d'eux s'en prennent à ceux qui, à gauche, se sont opposés au Mécanisme européen de stabilité (MES). Passons sur l'outrance rhétorique qui consiste à comparer cette opposition à celle des députés de droite sur la loi Veil instaurant le droit à l'avortement et venons-en au fait. Le MES serait "un premier pas vers une Europe fédérale avec son propre Trésor public et un budget conséquent". Au-delà du fait qu'il faudrait discuter précisément des fondements d'une telle Europe fédérale, s'il s'agissait d'"un fonds solidaire", comme ils l'affirment, s'opposer au MES serait effectivement "une bourde historique". Hélas, comme lors du débat sur le Traité constitutionnel européen (TCE), nos amis prennent leurs désirs pour la réalité.

 

Un Trésor public européen aurait pour objectif de financer des politiques publiques européennes. Rien de tel dans ce qui nous est présenté. Le MES n'a pas vocation à conduire des politiques publiques d'investissement au niveau européen, ce qui pourtant serait bien utile, ni même d'aider à la convergence des trajectoires économiques et sociales des Etats membres. Et surtout, loin de permettre à l'Union européenne de s'émanciper de la toute puissance des marchés financiers, il en consacre la domination. Il vise simplement à prêter des fonds aux Etats qui auront du mal à emprunter directement sur les marchés financiers. Comment cela se passera-t-il ? D'abord, les Etats emprunteront sur les marchés financiers pour constituer le capital du MES, plusieurs centaines de milliards d'euros. L'Allemagne empruntera à un peu moins de 3 %, la France à un peu plus, et les autres pays à beaucoup plus. Premier résultat donc, la dette publique va s'accroître.

 

Mais il est fort probable que ces sommes risquent d'être insuffisantes en cas d'aggravation de la crise. Si le MES devait "secourir", outre la Grèce, l'Irlande et le Portugal, mais aussi l'Espagne et l'Italie – des pays aujourd'hui sur la sellette, mais appelés eux aussi à répondre aux appels de fonds du MES –, il serait vite dépassé. D'où le fait que le MES soit autorisé à emprunter sur les marchés financiers avec pour objectif d'arriver par "effet levier" à emprunter trois à quatre fois son capital. Mais pour le faire à un taux faible, il faut qu'il soit bien noté par les agences de notation. Or, tous les pays sont plus ou moins soumis à la défiance des marchés. Le risque est donc grand que le MES subisse aussi cette défiance. Cela a d'ailleurs été le cas du Fonds européen de stabilité financière (FESF) qui a perdu son triple A suite à la dégradation de la plupart des pays européens. Comment donc "des pays ayant perdu toute crédibilité auprès des marchés internationaux", comme l'affirment nos auteurs, peuvent-ils en se coalisant retrouver cette crédibilité ? De plus, comment le MES remboursera-t-il sa dette si les pays contributeurs, qui seront aussi ses débiteurs, sont en difficulté et si les taux grimpent ?

 

Loin de sortir les Etats et la zone euro de l'emprise des marchés financiers, le MES la renforce encore. Les banques, qui peuvent emprunter à 1 % auprès de la Banque centrale européenne (BCE), prêteront au MES à un taux nettement supérieur. Le MES prêtera aux Etats à un taux encore supérieur et ces fonds serviront à payer la charge de la dette qui entrera dans les coffres des banques. C'est la solidarité version néolibérale, les banques solidaires avec elles-mêmes.

Mais ce n'est pas tout, car ces "aides" aux Etats se font "sous une stricte conditionnalité" qui sera définie par la Commission européenne, la BCE et le Fonds monétaire international (FMI). C'est cette troïka qui est en train de mettre le peuple grec à genoux à force de réductions de salaires, de privatisations, de remise en cause des droits des salarié-es. Pour avoir accès au MES, il faudra en passer sous les fourches caudines de l'austérité drastique. Nos auteurs sont bien conscients du problème et affirment qu'ils sont "pour une conditionnalité, mais pas celle imposée à la Grèce". Mais ce ne sont pas eux qui définiront cette conditionnalité, mais la troïka dont on sait quelle conception elle en a.

Cerise sur le gâteau, l'octroi d'une aide financière sera, à partir du 1er mars 2013, conditionnée par la ratification du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de l'Union (TSCG). Or ce traité, comme le note la Confédération européenne des syndicats – qui avait pourtant soutenu vigoureusement tous les traités antérieurs – "ne fait que stipuler la même chose : l'austérité et la discipline budgétaire". Nos auteurs indiquent que ce couplage entre le MES et le TSCG n'a pas de valeur légale. Mais le problème n'est pas juridique mais politique. En adoptant le MES, les Etats s'engagent politiquement à adopter le TSCG.


Bref, loin d'être un mécanisme de solidarité européen, le MES va être une camisole de force pour soumettre les peuples aux exigences des marchés et le S de MES risque fort d'être celui de servitude. La crise actuelle de l'UE et de la zone euro est la résultante de l'application des traités européens antérieurs marqués du sceau du néolibéralisme. La sortie de crise implique un changement de logique. Les députés écologistes et les économistes qui leur sont proches ont de la constance à défaut de cohérence. Ils avaient soutenu le TCE qui empêchait la BCE d'être un prêteur en dernier ressort pour les Etats et ils soutiennent le MES qui ne pourra pas emprunter à la BCE et qui a été inventé pour éviter d'avoir à modifier le statut de la BCE.

Il existe pourtant une autre solution pour sortir de l'emprise des marchés : que la BCE finance, sous contrôle démocratique européen, les déficits publics des Etats. Cela est d'ailleurs possible dès aujourd'hui car l'alinéa 2 de l'article 123 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne autorise la BCE et les banques centrales nationales à prêter aux établissements publics de crédit qui pourraient donc par là-même financer les déficits publics. Sortir la dette publique de la mainmise des marchés est la condition de toute politique progressiste.



Claude Debons, syndicaliste, Jacques Généreux, économiste, Janette Habel, universitaire, Jean-Marie Harribey, économiste, Pierre Khalfa, syndicaliste, Marie-Christine Vergiat, députée européenne, et Francis Wurtz, député européen honoraire, soutiennent la candidature de Jean-Luc Mélenchon à l'élection présidentielle.

Tribune du 25/02/2012 " Le Monde "



 


02/03/2012
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